Trois jours dans la ville de Naples: récit de voyage

Naples, station centrale Garibaldi à 1h30 du matin. Sous ses airs faussement calmes, le quartier au-devant de la gare trahit l’agitation de la journée. Au centre se trouve une place, dont l’aspect rappelle des fins de soirées douteuses. Son pourtour se constitue d’immeubles aux façades extrêmement délabrées. Des déchets s’amoncellent dans les coins, alors que certains flottent comme des virevoltants sur les dalles de pierre.

Alors que nous progressons sur le trottoir, un homme à motocyclette nous frôle d’une trentaine de centimètres. Il file à une vitesse qu’on réserve généralement aux routes nationales. Ayant franchi la place, nous prenons la via Pasquale pour nous rendre à l’hôtel où nous devons passer la nuit. Mis à part quelques passants finissant leur soirée alcoolisée en titubant au milieu de la chaussée, les rues sont désertes. On perçoit toutefois que chaque bâtiment grouille de vie. Derrière la multitude des balcons, on devine les portes restées entrouvertes. La rumeur des conversations s’immisce subtilement dans l’espace sonore.

Au bout de la rue se dresse un imposant HLM à la façade très sale. Son envergure prépondérante fait peser sur l’allée une atmosphère de misère. Sur un parterre herbeux recouvert de détritus, gisent un matelas et un canapé. La position face contre terre de ce dernier indique qu’il a été balancé des hauteurs.

Les portes de notre hôtel sont blindées de fers. Nous y pénétrons après s’être présentés. Un réceptionniste nous reçoit en pratiquant un Anglais sibyllin. Il nous fait rapidement part de son agacement face à nos incompréhensions. Derrière le comptoir de la réception est affiché un écriteau sur lequel on peut lire ceci : « Naples n’est pas réputée pour sa beauté, mais bien pour son ardeur. Elle ne prétend pas être plus que ce qu’elle est, elle est simplement. Tant que le Vésuve n’entre pas en éruption, cela perdurera ».

Première approche

Naples est une ville qu’on adore ou qu’on déteste. Rapidement elle peut s’avérer rédhibitoire pour la plupart des visiteurs. Un mélange de saletés, de bruits et de chaos règne sur la ville. Pourtant, comme par un phénomène d’attraction-répulsion, elle attire irrésistiblement. Si bien que lorsqu’elle aura fait fuir les visiteurs dubitatifs, resteront ceux qu’elle fascine par son étrangeté. Naples ne se dévoile pas aux premiers abords, mais s’adopte progressivement. Trois jours suffirent à me lier d’amitié avec la ville du tumulte.

Depuis le quartier de la gare, nous prenons un métro pour nous rendre dans le centre-ville. Inutile d’être pressés. La profondeur des stations est aussi importante que le retard de ses trains. Un peu de patience et nous arrivons bientôt dans les quartiers historiques du centre.

La matinée est déjà bien avancée, mais le soleil cuisant ne semble alanguir personne. Je comprends rapidement ce que le mot agitation veut dire. Adieu la circulation bien rangée de Florence. Ici, on roule où se trouve l’espace. La réalité de la disparité entre le Nord et le Sud de l’Italie m’apparait brusquement.

Les rues sont étroites et encaissées, posées dans une configuration labyrinthique. Les immeubles, aux tailles variées, font rarement moins de trois étages. Leurs revêtements, qui ont une propension à l’effritement, cachent difficilement l’usure des bâtiments. Une multitude de balcons se greffe aux façades, parfois suffisamment proches de celui d’en face pour que des vis-à-vis puissent se serrer la main. Les câbles, files de linge et autres corps longs constituent un réseau aérien si dense en certains lieux que le soleil peine à y pénétrer.

Si les rues pavées peuvent laisser penser qu’elles sont piétonnes, rien n’est pourtant moins vrai. Il est rare de pouvoir se promener plus de cinq minutes sans être incommodé par un conducteur aussi enragé sur le klaxon de sa motocyclette que téméraire dans sa conduite. S’orienter dans Naples est une affaire complexe sans le concours des interfaces de navigation. En-dehors des grands axes, il est difficile de suivre la trame de la ville. On peine à y distinguer un centre, sans doute car il en existe plusieurs simultanément. Le tracé des rues n’obéit à aucun quadrillage cohérent (en dépit de l’origine romaine de Neapolis) et les impasses semblent aussi nombreuses que les allées. À ce désordre s’invite un relief important qui à maints endroits transforment les rues en escaliers. Nous progressons quelque temps dans ce dédale urbain avant d’arriver à la Piazzetta Trinità alla Cesarea, où nous passerons la prochaine nuit.

La vie au pied d’un volcan

Ayant établi un camp de base, nous pouvons envisager les premières explorations. Chaque promenade à Naples est une aventure, dont le cheval de bataille est la rencontre impromptue avec l’insolite et le rocambolesque. Energique, démonstrative, animée : beaucoup de qualificatifs de ce type conviendraient bien à l’effervescence de ses rues. Pourtant, Naples ne se dévoile pas au premier regard. La ville donne tant à voir qu’on en oublie qu’elle bruisse toujours de mille secrets.

Elle est déjà exceptionnelle par la position géographique qu’elle occupe. Adossée au Vésuve, elle recouvre les collines de Vomero, de Capodimonte, de Posilippo, et de Camaldoli, et s’étend sur sa plaine jusqu’aux promenades au bord de sa baie. La ville s’étale comme un amphithéâtre urbain spectateur de l’immensité bleue, strié de rues qui bourdonnent.

À l’Ouest se trouvent les champs Phlégréens, un supervolcan souterrain qui menace d’entrer en éruption. La ville est ainsi prise en tenaille entre deux volcans, si bien qu’on en vient à penser que le chaos de ses rues trouve son moteur dans les forces actives de ses tréfonds. Car dans la cité parthénopéenne, on méprise la demi-mesure autant que la stabilité. Et l’agitation de la surface est frappante au regard des énergies qui se meuvent en dessous.

Naples est une ville volcanique, et son ardeur n’est sans doute pas totalement étrangère à la menace constante de l’éruption. Jadis, le Vésuve balaya toute vie de ses contreforts comme on se dépoussière l’épaule, ne laissant qu’un tas de ruines fumantes. Aujourd’hui, Pompéi rappelle à chaque Napolitain que le futur n’est pas garanti.

Face à cette fatalité, la vie napolitaine est celle de la désinvolture face à l’avenir et de la célébration du présent, que chaque habitant exprime par sa fureur de vivre. C’est pourquoi l’avènement d’un jour nouveau est toujours l’occasion d’une fête démente et frénétique. Quand le soleil se lève, Naples devient la ville du tumulte.

La circulation est une danse folle, dont on ignore la différence entre une chaussée et un trottoir. Un soir, alors que nous buvons des Spritz dans un bar improvisé, nous observons deux fillettes jouer avec le scooter de leur père. Sans casque, elles filaient à vive allure sur le pavé, suivant les règles d’un jeu que la plupart des enfants pratiqueraient dans la sécurité d’un jardin. Nous étions là face à une illustration éloquente du mode de vie napolitain : fougueux, dangereux et désinvolte.

L’âme de Naples

Il serait pourtant idiot de limiter la réalité sociologique de la ville à sa position géographique. Naples fut longtemps une ville gangrénée par la misère, celle des bassi. Ces logements se résumaient à une pièce, placée au rez-de-chaussée d’un immeuble quand ils n’étaient pas simplement faits de quelques planches sous un pont.

Ces abris de fortune, insalubres et exigus, expliquent sans doute le mépris des Napolitains pour la vie en intérieur. L’amélioration des conditions des habitants ne leur a pas fait perdre cette tendance. À Naples, tout se passe à l’extérieur : les conversations, les affaires, les scènes de ménage. La vie napolitaine, y compris ses intimités, s’exposent au vu et au su de tous.

C’est pourquoi Naples est une ville théâtrale. Chaque rue est semblable à un quartier, où les habitants se connaissent, se rencontrent, se commentent. Les interactions sont ostentatoires. Elles s’expriment au travers de gestes de mains impétueux, et par la vivacité de leur parler locale : le napolitain. À Naples, chaque rue devient spectacle.

Bassi

Ville de contrastes

Toute cette expressivité s’exprime également dans les contrastes saisissants que la ville propose. Les quartiers tortueux cohabitent avec les lieux grandioses, si bien qu’on passe régulièrement de la densité urbaine aux larges espaces ouverts. Au bout de la via Toledo, cœur battant de la ville, nous débouchons sur la Piazza del Plebiscito. La place met face à face la basilique San Francesco di Paola, grand bâtiment aux allures de panthéon romain, et le palais royal de Naples, exposant dans des alcôves la succession des monarques ayant régné sur le royaume de Deux-Siciles.

Non loin de là, alors que nous marchons sur la Via Vittorio Emmanuel II, nous tombons sur l’entrée d’une galerie à la taille impressionnante. La galleria Umberto est un gigantesque dôme à quatre branches, dont les parois se prolongent magnifiquement dans la courbure de ses voûtes de cristal.

Naples expose aussi ses contrastes dans le niveau de richesse de ses quartiers. Si les plus pauvres se concentrent dans la périphérie de la ville, certains cohabitent avec les plus huppés du centre. Ainsi, lorsque nous nous promenions dans Vomero, quartier d’artistes aux imposantes villas barricadées niché sur les hauteurs, il suffisait de prendre l’escalier de Petraio pour pénétrer dans le Quartieri Spagnoli, populeux et bruyant, entassé dans le creux de la colline. Cette descente était une éloquente façon de se confronter au concept de stratification sociale en milieu urbain.

Villa de Vomero
Quartier espagnol

Tour d’horizon de la verticalité

Naples est une ville marquée par le relief, ce qui lui confère une verticalité participant à son charme. Le Vésuve, culminant à 1281 mètres, apparait dès que la densité urbaine desserre son étau, ce qui en fait le compagnon de route du flâneur. Les collines sont nombreuses. Elles forment le faîte de l’amphithéâtre urbain avant d’opérer une bifurcation et de longer la baie jusqu’au parc Virgiliano.

Sur la colline de Vomero se trouve une des plus beaux bâtiments de la ville : la chartreuse San Martino. Cet ancien monastère reconvertit en musée est cerné d’un belvédère panoramique. Un soir d’une journée d’été, nous nous installions sur un de ses parapets pour observer la rumeur de la ville. Alors que l’or du soir enjolivait le décor, une chape de chaleur continuait de peser sur les toits. Même à cette hauteur, on pouvait entendre chanter les klaxons.

Le point de vue permettait de mieux saisir l’organisation alambiquée de Naples. Au centre, les gratte-ciel du centro direzionale composent un petit fortin autour de la gare. Il est encerclé de toute part par l’immensité beige de la ville, qui ne se disperse qu’aux alentours des lointaines montagnes obstruant l’horizon. L’œil attentif remarquera la multitude de dômes et de clochers, accusant la myriade d’édifices religieux que recèle Naples. Plus nombreux qu’à Rome, pourtant la ville Sainte, certains campent à une proximité absurde. Ils sont le témoignage de la ferveur catholique qui anime encore les rues.

Plus au Nord, la colline de Capodimonte propose une vue de la ville sous un angle différent. S’y trouve le palais éponyme, au centre d’un parc où les larges avenues sont flanquées de palmiers.

Palais de Capodimonte
En arrière-plan, l’île de Capri

Naples est aussi fameuse pour ses souterrains. Un réseau de 80km de voies se terre en silence sous l’agitation urbaine. Le Napoli sotterranea est accessible par plusieurs entrées, dont celle de la Via Sant’Anna di Palazzo qui invite à plonger dans les profondeurs par un escalier en spirale. Ce vaste réseau s’explique en partie par le matériau dans lequel il fut creusé : le tuf. Cette roche, résidus d’éruption consolidés, a la particularité d’être très friable.

Curiosité I : la rue des mille visages

La via San Gregorio Armeno est une rue aux multiples visages. Et pour cause, des milliers toisent le promeneur qui y pénètre. Il s’agit de santons, figurines de crèche, dont l’artisanat emblématique de la ville se perpétue encore dans ces boutiques ayant pignon sur rue. On peut ainsi admirer les artisans y fabriquer les crèches et les personnages de la scène de la nativité, ainsi qu’une multitude d’autres références puisées dans la pop culture, le sport ou la politique.

Curiosité II : peintures rupestres

Au gré du hasard, on rencontrera à Naples la kyrielle de fresques qui tapissent ses murs. Les petites comme les monumentales intègrent au paysage urbain les personnages emblématiques de la ville. Parmi les plus illustres, il y a San Gennaro, dont on trouve une fresque à Forcella. Protecteur de tous les Napolitains, l’importance de l’évêque peut encore se constater dans la cathédrale de Naples, où se perpétue le miracle de la liquéfaction du sang.

Une autre figure qu’il est difficile d’ignorer est celle de Diego Maradona. Le footballeur argentin, joueur du SSC Napoli de 1984 à 1992 est rapidement devenu le demi-dieu des Napolitains. L’admiration zélée que vouent les habitants pour le D10s met fréquemment son culte aux côtés des plus importantes figures bibliques. On le voit notamment dans les innombrables petites chapelles jalonnant les bas-côtés de Naples.

San Gennaro
Diego Maradona

Pourquoi aime-t-on Naples ?

Pour toutes les nombreuses raisons citées ci-dessus, probablement. Pour le comportement si expressif de ses habitants. Si « italien », tel qu’un visiteur étranger pourrait se le représenter dans un imaginaire stéréotypé : le parler fort, les gestes, la conduite dangereuse. Pour la beauté de la ville, aussi. Pour les places et les palais majestueux. Pour les rues aux marchés et pour les trattoria aux meilleures pizzas du monde. Pour le Vésuve et Capri, qui en toile de fond accompagnent le flâneur dans toutes ses promenades. Pour sa baie magnifique, que surveillent en fières sentinelles les Castels Dell’Ovo et Nuovo. Mais ce qu’on aime peut-être le plus de cette ville, c’est simplement qu’elle est pleinement vivante.

C’est sa vivacité tumultueuse qui rend Naples aussi unique. Tout ce qui apparaissait comme ses défauts devient rapidement ses qualités. Son désordre généralisé se mue en chaos qui fait sens, en cacophonie harmonieuse.

Il faut dire que la ville n’est plus exactement ce qu’elle était voilà 50 ans. Du moins certains quartiers ont-ils perdu face à l’avancée de la « modernisation », en réalité davantage une mise aux standards occidentaux. Pendant la plupart de notre séjour, nous logions dans une Guesthouse dont il n’y avait rien à redire de l’aménagement, du confort et de l’accueil. Elle répondait à tout ce qu’on attendrait d’une auberge de jeunesse de style « backpackers ». C’est pourtant bien de notre premier hôtel dont on se rappellera le plus. De l’arrivée dans son quartier insalubre jusqu’aux agacements de son réceptionniste face à nos incompréhensions de touristes. Aucune concession ne nous était offerte et la ville se présentait dans toute sa pureté.

Naples va à contre-courant de la métropole « moderne », mondialisée, standardisée et aseptisée. Il suffit de se rendre dans ses rues touristiques et marchandes (car il y en a) aux enseignes multinationales pour comprendre ce qu’on aimait dans le reste de la ville. Ces rues commerçantes, partout pareilles dans le monde, n’ont aucune histoire à raconter. Elles ne sont que l’invitation faite au passant de parfaire à son rôle de consommateur que nous impose l’époque. Les autres rues de Naples, en revanche, bousculent ces canaux de l’existence. Et son énergie rebelle n’en a pas fini de rabrouer les tentatives d’en faire une ville mondiale, envahie de Mcdonald’s et de Starbucks.

Malgré les difficultés – malgré la mala vita – les napolitains continuent de croire en la vie, et de célébrer son renouvellent chaque jour qui nait. Tant que le Vésuve n’entre pas en éruption, elle s’évertuera à préserver ce qu’elle est.

Naples, aussi puante et étouffante soit-elle, est un vent de fraicheur dont on se délecte volontiers.

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