Deux jours à Bucarest : escale immersive en capitale roumaine
Bruxelles-Mont Ararat sans avion, partie 3
Cet article, troisième partie du voyage vers le Mont Ararat depuis Bruxelles, relate les deux jours passés à Bucarest. Après Munich et Budapest, c’est dans la capitale roumaine que nous faisons étape. Une escale permettant de découvrir une ville dans les confins de l’Europe, dont la morphologie porte encore les stigmates du siècle dernier.
Traversée des Carpates
Des cimes. J’ouvre les yeux et c’est des cimes que je vois. Un simple mouvement oculaire en direction de la fenêtre. Premier réflexe lorsque les songes laissent place au monde réel. Mon corps est encore cotonneux, ma vision acclimatée à l’obscurité, mais elle se dirige machinalement vers la lumière. Dans un immense ciel bleu, je distingue les sommets des Carpates.
Je reste encore couché sur ma banquette, tant la nuit fut bonne. Le ballottement du train continue de me bercer. Tout m’invite à rester au lit, mais ce qui se joue dehors est plus fort, trop grandiose, et me stimule suffisamment pour m’extirper complètement de ma rêverie, et rendre mon attention disponible à rien d’autre que cela.
Le tranche du massif des Carpates que nous sommes en train de traverser est réellement grandiose. L’intensité des dénivelés est impressionnante. A quoi bon la hauteur réelle, quand ce qui crée le spectacle est la hauteur perçue ? Ce qui rend le voyageur petit face à la verticalité est l’écart qui se joue entre le point le plus bas et le point le plus haut. Les montagnes sont sauvages et vertigineuses. Le train conserve son allure, branché sur le même battement. Nous franchissons des gorges, longeons des escarpements rocheux, et traversons des paysages dont la ruralité nous ramène un siècle en arrière.
J’ai un réel sentiment d’ailleurs. La campagne est bucolique et les maisons semblent venir d’un autre temps. Notre train s’est profondément enfoncé dans les terres, et la modernité se fait ici plus rare. Lors d’un arrêt à une gare, j’assiste à une conversation entre deux locaux. L’un d’eux, un joufflu moustachu coiffé d’un béret, semble mécontent de sa situation. Ils pratiquent une langue qui chante, au croisement de l’italien et de l’espagnol. Je me réjouis de tout ce que je suis en train de vivre.
Quelques heures passent. Petit à petit, le tissu urbain se précise. Nous voilà arrivés à Bucarest.
Curieuse ville
Nous nous installons dans un hôtel aux abords de la gare. Un des moins chers, et je me retrouve dans un dortoir qui sent la cigarette froide. En arrivant, nous avons découvert dépités qu’il n’y avait plus de trains de nuit vers Istanbul, et nous voilà désormais contraints à chercher une solution alternative. La première sortie en ville a ainsi pour but l’atteinte de la gare des bus, dans la banlieue Est.
Plusieurs curiosités sont rapidement notables. D’abord, la ville semble arborer des bâtiments anciens en son centre, et des blocs en béton partout alentour. Chaque quartier porte le nom de « sector » suivi d’un numéro. Une morphologie urbaine dont on devine rapidement qu’elle résulte de la volonté de dirigeants politiques. Ce fut notamment celle de Nicolae Ceausescu, qui entreprit de grands projets urbanistiques, transformant des quartiers anciens (dont beaucoup furent certes détruits par le tremblement de terre de 1977) en zones résidentielles faites de blocs. Les vestiges laissés par cette politique urbanistique ont pour exemple le plus ostentatoire la « Maison du peuple », un monstre colossal dont l’édification nécessita la destruction d’un quartier tout entier de la vieille ville pour en dégager l’espace nécessaire.
Aussi, il y a des lieux où Bucarest semble avoir été jetée en pâture aux investisseurs du monde entier. Les enseignes multinationales sont partout. Après la dictature, la ville a subi une intégration brutale dans le bloc néo-libéral, et le capitalisme sauvage y a implanté ses racines. Malmenée par l’histoire du siècle dernier, elle en porte encore les stigmates.
La place de l’Université
Une fois nos tickets de bus en poche, on se retrouve au Parc Unirii. Un énorme bassin de jets d’eau se trouve en son centre. Dans la ville, de petites rues délaissées côtoient de grands boulevards. Passant sur le boulevard Unirii, nous distinguons la fameuse « Maison du peuple », immense mirage dont l’ouverture laissée par l’avenue ne permet même pas d’en distinguer les contours. De là, nous allons à la Piața Universităţii, qui donne sur l’université de Bucarest et le théâtre national.
le Parc Bordei
Nous passons par une supérette pour s’acheter quelques spécialités du coin. Comme dans d’autres pays de l’Est, on retrouve les fameuses bouteilles de bière en plastique au format trois litres. On s’en procure deux, ainsi que quelques apéritifs aux noms étranges.
Nous nous rendons au Nord, dans le parc Bordei. Installés au bord du lac Herăstrău, nous avons vue sur la Casa Presei, la « maison de la presse libre », un gratte-ciel de type stalinien. Nous y profitons de nos victuailles au coucher du soleil.
Libraire Cărturești Carusel
Dormir dans un vrai lit est salvateur. C’est le premier depuis le début. Aujourd’hui, nous allons dans le centre faire plus ample connaissance avec Bucarest. Nous commençons par visiter la librairie Cărturești Carusel. Construit au 20e siècle par une famille de banquiers, son bâtiment est tombé en ruine suite aux soubresauts de l’Histoire. Il est finalement racheté par un descendant de la famille pour être rénové. Aujourd’hui, l’intérieur s’étend sur trois étages, où des balcons reliés entre eux par des colonnes ceinturent un espace central. Le tout est peint en blanc, ce qui rend la pièce très lumineuse.
Opéra national de Bucarest
Traversant la Dâmbovița, nous atteignons l’Opéra. L’intérieur est très beau. Le calme y est une rupture salvatrice avec l’extérieur. Au sein de la salle de représentation, le très beau toit en rotonde arbore des dorures aux motifs mythiques encerclant une rosace. Une fresque circulaire fait le tour de la salle de représentation, retraçant l’histoire de Bucarest.
La maison du Peuple
Le bâtiment le plus marquant, le plus grandiose, autant que le plus surréaliste de Bucarest, est certainement le Parlement. Sa taille est disproportionnée, ce qui en fait le deuxième bâtiment du monde en superficie après le Pentagone de Washington. Rappel ostentatoire de la dictature de Ceausescu, il apparaît comme une absurdité architecturale autant qu’urbanistique, production mégalomane d’un seul homme. Ceausescu souhaitait regrouper, au sein du même bâtiment, ses logements, ceux de ses ministres, et les principales institutions du pays: concentrer le pouvoir en un seul endroit, comme le Roi-Soleil le fit avec sa cour. Aujourd’hui, le bâtiment abrite le Parlement roumain, sa surface de 350 000 m² n’est investie que partiellement, et les bénéfices qu’il génère ne permettent même pas de couvrir la moitié de ses frais d’entretien.
Nous contournons ce Titan qui, certes, est absolument fascinant. Sa taille monstrueuse cache un autre édifice d’envergure, la cathédrale, magnifique construction portant des dômes d’or.
Vers Istanbul
Nous prenons notre autobus qui démarre lorsque la nuit tombe. Le staff du véhicule est turc, ce qui nous permet d’entendre pour la première fois la langue. Notre chauffeur roule comme un diable. Il est la désinvolture incarnée, fume au volant, et fait peu de cas des convenances dont on croit implicitement s’appliquer au « client ». Une fois passé le Danube, puis la frontière bulgare, il demande, d’un geste aussi autoritaire que léger, que quelqu’un redistribue les passeports à tout le monde. Après un temps d’hébétude, un passager finit par s’exécuter. Satisfait de ne pas avoir eu à se lever, il se rallume une cigarette et redémarre comme un forcené.
J’ai une place en bord de fenêtre, ce qui est une bénédiction pour qui veut dormir dans un bus. Je parviens tant bien que mal à trouver une configuration confortable en intercalant un coussin gonflant entre ma nuque et le maigre rebord. Le sommeil me prend, bien que la conduite de fou furieux du conducteur ne soit pas pour l’y aider. Ce dernier semble avoir confondu la Bulgarie avec une piste de rallye. Chaque dépassement provoque un tambourinage acharné sur son klaxon. Chaque virage, en plus de transformer l’habitacle du véhicule en simulation taille humaine d’une centrifugeuse, est l’occasion de se demander si, de gré ou de force, on ne finira pas la nuit dans les bois. À cette vitesse, la frontière ne tarde pas à pointer le bout de son nez. Il fait encore nuit. Une fois passé le checkpoint, nous voilà finalement en Turquie.
Nous sommes au point le plus à l’Ouest du pays, et l’objectif se situe à son exact opposé, ce qui constitue encore le bout du monde. Arrivés aux frontières de l’Europe, nous avons parcouru une distance qu’il faudra presque redoubler pour atteindre le Mont Ararat.
Le chant d’un muezzin retentit dans une ville des environs. C’est le premier que nous avons l’occasion d’entendre. Les chiens lèvent leurs museaux au ciel et se mettent à hurler de concert. Cela produit un moment magique autant que beau et, surtout, improbable. D’abord par la présence d’autant de chiens dans un tel (non-)lieu. Ensuite par le mystère qui les pousse, tous ensemble, à joindre leurs hurlements à l’appel à la prière. Quoi qu’il en soit, l’Orient nous fait bon accueil, et nous venons de franchir ses portes symboliques.
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