Randonnée des châteaux dans le Hainaut

Qu’est ce qui fait l’identité d’un pays ? À quoi pense-t-on lorsque l’on évoque la Chine, la France, le Brésil ? Sans doute à une société et à une histoire, probablement aussi à une géographie, des paysages, des villes et des monuments. Justement, Histoire et Géographie interagissent mutuellement. Cette dynamique donne lieu à des espaces singuliers, se déclinant de par le monde, et offrant ainsi une variété exceptionnelle. 

La Belgique est une terre de châteaux. L’on dit même qu’elle en présente le plus grand nombre au mètre carré. En effet, chaque province offre son panel d’édifices, allant de la forteresse au manoir, du palais au château renaissance.

Géographie historique

On peut sans doute expliquer cette densité grâce à la géographie historique. Bien avant de constituer une nation aux frontières définies, le Belgique était une terre morcelée par des entités autonomes.  Elle était partagée entre duchés, comtés et principautés, dont les appartenances et allégeances se transformèrent au gré des évolutions politiques et des conflits.

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À la fin du moyen-âge, la Belgique couvrait grosso modo la partie sud des Dix-Sept provinces. Chronologiquement et selon la réalité géopolitique du moment, celles-ci furent dénommées Pays-Bas bourguignons, espagnols puis autrichiens. Le complexe jeu de succession ayant cours dans l’Ancien régime fit que son territoire fut tiraillé entre empires et royaumes.

Les Dix-Sept provinces furent conquises par Napoléon suite à la Révolution française de 1789. La fin des guerres qui en découlèrent se traduisit par un nouveau tracé des frontières de l’Europe. La Belgique fut rattachée au Pays-Bas pour constituer le Royaume-Uni des Pays-Bas. Il s’agissait alors d’un état tampon, formant une barrière stratégique conçue en vue de calmer les ambitions de la France. Il fallut attendre 1830, pour que la Belgique devienne la nation que l’on connait aujourd’hui. Le territoire connut ensuite une industrialisation rapide.

Un tel foisonnement d’évolutions historiques ne pouvait que façonner la géographie de la Belgique. Chaque espace a une histoire longue qui détermine son agencement et sa composition. Les territoires sont comme des palimpsestes, parchemins dont l’écriture est effacée pour pouvoir y réécrire à nouveau. Ainsi, au fil du temps s’érigèrent des châteaux, construits par tel comte, tel baron, tel roi, à tel point que le paysage est aujourd’hui constellé de ces édifices.

Randonnée des 5 châteaux

Je me propose ainsi de vous en faire découvrir cinq. Ceux-ci se trouvent dans la province du Hainaut, entre Arquennes et Écaussinnes. Il est possible de les découvrir en une marche de 32km. L’idée de ce parcours me vient du blog Trekking et Voyage et de sa randonnée intitulée « la rando des cinq châteaux ». Le tracé de la route a été fait à l’aide d’une carte 1/20 000 de l’Institut Géographique National (IGN).

Le point de départ se situe à Arquennes. Bordant l’ancien canal Bruxelles-Charleroi, c’est un village ancien, bâti de pierres. Il faisait partie de ce qu’on appelait le Roman Païs, la langue romane y étant parlée depuis le moyen-âge. Partie intégrante de la région méridionale du Duché du Brabant, il est aujourd’hui relié à la commune de Seneffe. Arquennes se présente ainsi comme une porte d’entrée vers la province du Hainaut.

Châteaux de Feluy et de Miremont

Il faut traverser le canal et prendre la direction de Feluy pour trouver le premier château. Nous passons à côté d’un lac sombre constitué par les profondeurs du Trou Saint-Georges. Feluy, au même titre qu’Arquennes, s’illustre par un décor dont la signature est la pierre bleue. Présente dans la majorité des constructions, celle-ci est issue de carrières anciennes et aujourd’hui inondées. Elles forment ainsi les trous de carrière qui jalonnent le village.   

Château de Feluy

Continuant par la rue Victor Rousseau, nous arrivons face au château de Feluy. Celui-ci borde une étendue d’eau constituée par le Rau du Grati. Non content de proposer la version originale de ses atours, il nous en offre une seconde interprétation, miroitant dans des eaux calmes. Un reflet qui lui confère un supplément d’élégance qui n’est pas sans rappeler Chenonceau ou Sully-sur-Loire.

Le château de Feluy, de style néo-classique, est construit en 1380 sous l’impulsion d’un certain Eustache de Bousie. Ses propriétaires se succédèrent au gré des désordres inerrant à la féodalité, des jeux d’alliances et des conflits européens. Souvent assiégé, pareillement pillé, il fut aussi fréquemment restauré. Sa forme actuelle est issue d’une restauration entamée en 1972. Il est aujourd’hui un lieu de réception pour mariages et séminaires.

Á la sortie du village se trouve, dissimulé sous des frondaisons, le château de Miremont, de style néo-médiéval. Espace privé, il ne se donne pas volontiers au regard des visiteurs. Un petit sentier longeant le domaine permet de pénétrer plus avant dans la campagne.

Route vers Écaussinnes

Nous arpentons ici la région naturelle brabançonne, prolongement des plateaux limoneux hennuyers qui s’étendent à l’Ouest. Un peu au sud se trouve le Sillon Sambre-et-Meuse. Le territoire est caractérisé par un relief léger formé de faibles ondulations. La terre riche en limon se traduit par une importante présence de cultures. Cet ensemble de champs et prairies, organisé selon le modèle openfield mixte, est nervuré par un large réseau hydraulique. À l’image du Condroz, les villages sont groupés en tas. L’architecture des maisons fait la part belle à l’horizontalité. On retrouve ainsi des habitations longues où les seconds étages sont rares.

Culturellement, nous sommes ici dans la région du centre. Ce territoire conceptuel est pensé en 1832 pour réunir 12 communes, de La Louvière à Écaussinnes, partageant des traits culturels communs. Sa position particulière entre le bassin charbonnier du Borinage et celui de Charleroi lui doit son nom.

Il faut rejoindre le chemin des Écaussinnes et traverser prairies et champs en vue d’atteindre le canal Bruxelles-Charleroi. Comme son nom l’indique, ses eaux créent une route reliant Charleroi et Bruxelles. Il est ensuite prolongé jusqu’à Anvers via le canal maritime de Bruxelles à l’Escaut ou canal de Willebroeck et au sud jusqu’à Lille et Dunkerque. S’élevant tel un obélisque, le plan incliné de Ronquières est un ouvrage impressionnant. Il permet aux péniches de franchir le dénivelé. Sa tour de contrôle en béton est un formidable point de repère pour les promeneurs.

Canal Bruxelles-Charleroi
Tour de contrôle du plan incliné de Ronquières

Châteaux d’Écaussinnes et de la Folie

Il faut traverser le canal et abattre une dizaine de kilomètres au travers de la campagne avant d’arriver à Écaussinnes. Traversé par l’écoulement tranquille de la Sennette, la commune résulte de la fusion de trois villages. « Bienvenue aux trois Écaussinnes » est d’ailleurs annoncé à l’entrée du patelin. Le relief y est marqué. Un ancien viaduc, le Pont des Douces Arcades, donne de la verticalité au village. Là encore on retrouve la fameuse pierre bleue originaire des exploitations de roches sédimentaires de la région.

Le château d’Écaussinnes-Lalaing, solidement installé sur son escarpement rocheux, date du 11e siècle. Sur ce point stratégique qui se situait à la frontière entre le comté du Hainaut et le duché de Brabant, il parut judicieux de construire des fortifications. C’est ce que fit Baudouin V, comte de Hainaut et comte de Flandres. Le château deviendra la résidence principale de la dynastie noble des Lalaing, proche de la monarchie espagnole.

Nous traversons ensuite le village, suivant tant bien que mal le cours de la Sennette qui se dérobe derrière rues et maisons. Le château de la Folie se trouve à l’extérieur du village. Il est possible de l’apercevoir une première fois au travers de son portique, puis une seconde en traversant un étroit tunnel de pierres : le tunnel des amoureux. Celui-ci débouche sur un sentier longeant le ruisseau et offrant une vue sur la partie arrière du château ainsi que son jardin. Le château de la Folie était autrefois une forteresse, possédant douves, pont-levis, machicoulis et tours de ronde.  Sur ces vestiges a été construit un imposant manoir, résidence de la famille de Lichtervelde.

Tunnel des amoureux
Des jacinthes bordent le sentier

Á travers la campagne vers le plan incliné de Ronquières

Quittant la commune d’Écaussinnes, nous envisageons le retour à Arquennes. Après avoir quitté l’agglomération, la Sennette entreprend une percée dans la campagne. La suivre vers son aval permet de découvrir un paysage de verdure, embelli du filtre doré apposé par le soleil déclinant. La rivière serpente au travers d’un sol gondolé. Des prairies où reposent les vaches côtoient des fermes anciennes, aux murs brun-beiges et aux toits de tuiles rouge-orangés. Le paysage est jalonné de Saules pleureurs aux feuilles tombantes, de calèches en bois abandonnées, de clôtures de fortune titubantes. Une petite bande de terre chemine au travers de ce décor, tantôt couvert par la cime d’un arbre courbé, tantôt emjambant le cours d’eau. Nous l’empruntons jusqu’à arriver au croisement avec le Ri des Gueux et de bifurquer par le Rue du Poirier.

Reprenant de l’altitude, nous revenons dans un paysage aux horizons lointains. L’éminence grise du plan incliné de Ronquières refait surface. Nous nous dirigeons vers ce dernier en vue de repasser de l’autre côté du canal. En approchant de la construction, on réalise mieux son envergure. De puissantes colonnes cylindriques soutiennent ce pont d’eau. Á sa hauteur approchant les 20 mètres, il faut y ajouter la cinquantaine de la tour de contrôle posée au-dessus. Cette prouesse d’ingénierie a la capacité d’offrir le franchissement de 70 m de dénivelé à deux péniches en double file. 

Château de la Rocq et retour à Arquennes

Trois kilomètres nous séparent encore du dernier château. Il faut traverser de larges champs par la route de la Graterie puis de la Warte pour arriver à l’ancien canal. Il convient dès lors d’emprunter le chemin de la Rocq, au bord de l’eau, et de se diriger vers le sud. Le soleil se couche et les eaux sont tranquilles. On croise la route de cygnes, d’oies, de canards gris et colverts. Soudain, au virage du canal, la frondaison laisse entrevoir le château de la Rocq.

Entièrement restauré, celui-ci daterait du 17e siècle. Il aurait été donné à un nommé Wautier de Bousies par son père Eustache, seigneur de Feluy. Le château de style néo-médiéval est entouré d’un vaste domaine de 30 hectares. Il est cerné de douves et possède trois tours d’angles carrées, coiffées de toits coniques en ardoise. Derrière ces fortifications se cache une jolie cour, au centre de laquelle se trouve un petit jardin. S’il abritait auparavant une garnison permettant la défense de la frontière, il est aujourd’hui un lieu où s’organisent des évènements privés.

Quittant le château, nous ne tardons pas à rejoindre Feluy. Il suffit de franchir les différents passages à niveau du canal et d’achever les derniers kilomètres pour retrouver Arquennes.

Les flots de l’Histoire

La randonnée prend fin après 32 km. Cette distance a permis de découvrir 5 châteaux, de styles et d’époques différents. S’il est agréable d’avoir un but justifiant la marche, toute la richesse réside aussi dans les espaces parcourus. Ils présentent une quantité d’éléments visuels divers et variés. Ces formes et ces objets nous viennent du passé. Souvent transformés, ils furent apportés, marées après marées, par les flots de l’Histoire. Ainsi, chaque lieu recèle le souvenir d’une quantité colossale d’évènements. Cette abondance donne une profondeur infinie aux territoires que l’on traverse.

La recherche d’admiration devant les horizons lointains, les constructions pittoresques et les édifices impressionnants constitue la motivation centrale du promeneur. Il s’agit du moteur qui justifie son entreprise d’abattre des kilomètres, pas après pas. Mais chaque lieu est aussi un pourvoyeur d’histoires exceptionnel. Si l’on accepte de les capter, chaque périple prend instantanément une nouvelle dimension. C’est sans doute là le projet central de ce blog : apprendre à écouter la rumeur du monde.

Quel lien entretenons-nous avec notre espace ? Ne se limitant pas à un simple esthétisme, il a à nous apprendre autant qu’à nous émerveiller. C’est l’interprétation du voyageur sur le milieu qu’il arpente qui détermine les émotions qu’il en tirera. Á cet égard, la marche peut devenir une méditation, et le voyage prend dès lors une tournure vertigineuse.

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